Barcelone, le 27 juillet 2005.
Un des charmes de Barcelone en été, comme de nombreuses villes côtières, est de pouvoir aller à la plage après le travail, nager, se dorer au soleil qui ne se presse pas pour se coucher avec l’horaire d’été, flâner la nuit entre les feux de camps et les chiringuitos. J’ai longtemps vécu à Casablanca mais n’y ai pas suffisamment profité de la mer. Probablement parce qu’elle faisait partie du décor et que je n’étais pas conscient du privilège d’avoir l’océan à portée de main. Mais après m’être éloigné des rivages de longues années et m’être fondu dans la grisaille parisienne une décennie, je prends aujourd’hui conscience du luxe palpable d’avoir la mer à quelques encablures de chez soi, de sentir l’air marin à plein nez, de savourer les promenades sur le sable.
Il est 20H30, nous sommes à l’entrée du Palau de la Musica Catalana, un goût de sel encore présent sur la peau. Cet édifice magistral, classé Patrimoine de l’Humanité depuis 1997 par l’Unesco, porte bien son nom car c’est une des plus belles salles de concert de la ville, certainement même d’Europe, dotée d’une acoustique parfaite. L’architecture des lieux est exceptionnelle, imaginée par Lluís Domènech i Montaner (père également du mythique l’hôpital San Pau à Barcelone) et réalisée entre 1905 et 1908, dans la pure lignée du Modernisme du début du siècle dernier initié par le génial Gaudi. Les façades, avec leurs mosaïques et sculptures florales, donnent un avant-goût de la quintessence intérieure du lieu. La lumière, filtrée par les centaines de vitraux multicolores, diapre chaque recoin de l’auditorium où domine majestueusement un buste de Beethoven surplombé par l’éclatante statue des Walkyries de Wagner, compositeur fétiche de la Renaissance Catalane.
Nous allons prendre un verre au bar du Palau en attendant le spectacle qui ne débutera qu’à 21 heures. Dans le cadre du festival Mas I Mas de Barcelone, un des derniers grands artistes cubains vivants, Ibrahim Ferrer, est là ce soir pour un unique concert en Espagne où il présente son dernier album "Mi Sueño, A Boléro Songbook". L’assistance est on ne peut plus cosmopolite, un véritable melting-pot d’aficionados de cette icône de la musique cubaine. Ce n’est que sur le tard qu’Ibrahim Ferrer a pu jouir d’une célébrité méritée, grâce au film-documentaire Buena Vista Social Club de Wim Venders (qui avait également permis quelques années plus tôt au groupe Madredeus d’éclore grâce à Lisbon Story).
La cloche annonçant le début imminent du spectacle retentit, les spectateurs terminent leurs bières et leurs pinchos précipitamment pour se ruer dans l’auditorium. On sent une véritable ferveur dans la salle. Les 14 musiciens font leur entrée sous les applaudissements et commencent à ajuster leurs instruments dans un bœuf réussi : piano à queue, synthétiseur, batterie, percussions africaines, violons, violoncelle, contrebasse, basse, guitare, trompettes, flûte traversière et saxophones. Au bout de dix minutes, Ibrahim Ferrer fait son entrée à petits pas, son habituel petit béret noir vissé sur la tête, un sourire généreux, et l’âge qui a commencé à fatiguer le corps. Sa démarche est frêle, mais la standing ovation qui l’accueille semble lui donner des ailes. Puis le rêve commence, je réalise avec difficulté que nous avons de verdad devant nous ce maestro cubain. Deux heures de concert fluide, enjoué, la choriste préposée au synthétiseur réveillant la salle par ses pas de danse endiablés. L’apothéose arrive juste après le dernier rappel, l’artiste ayant laissé le meilleur pour la fin, et après une introduction sublime des violons, un long silence volontaire suspend le souffle de chacun en attente des paroles espérées depuis le début du concert : nous y sommes, Ibrahim Ferrer parcourt du regard tout l’auditorium dans un sourire éclatant, puis clame soudainement "Dos gardenias para ti"... La salle entière est debout et applaudit Maître Ferrer qui fera indéniablement partie du Panthéon des grands chanteurs de ce monde. Une merveilleuse soirée, et d'inoubliables moments d'émotion.
Merci Maître !
Bonus: Les vidéos du spectacle !
Vidéo 1
Vidéo 2
Le rappel : Dos Gardenias
Dos Gardenias (boléro écrit par Isolina Carrilo en 1930)
Dos gardenias para ti
Con ellas quiero decir
Te quiero, te adoro, mi vida
Ponles toda tu atención
Porque son tu corazón y el mío
Dos gardenias para ti
Que tendrán todo el calor de un beso
De esos besos que te di
Y que jamás encontrarás
En el calor de otro querer
A tu lado vivirán y se hablarán
Como cuando estás conmigo
Y hasta creerás que te dirán
Te quiero
Pero si un atardecer
Las gardenias de mi amor se mueren
Es porque han adivinado
Que tu amor me ha traicionado
Porque existe otro querer
Dos gardenias para ti
Con ellas quiero decir
Te quiero, te adoro, mi vida...
J'ai encore dans les oreilles l'écho de ces paroles que je ne comprenait pas, de cette voix qui se faufilait dans mon sang, cette clave qui battait au rythme de mon coeur. Je découvrais pour la première fois le Son. Là j'ai eu le coup de foudre. Cet appel à danser, raisonnant, comme un Muzzin, a guidé mes pieds jusqu'à la Havana vieja. Là j'ai su que cette musique était en moi. Le Son, le boléro, Le chacha et évidemment la salsa. Je remercie Dieu de cette fabuleuse rencontre, où je suis née.
At 8/07/2005 01:05:00 AM, Loula la nomade
Je visite souvent ton blog, puis timorée que je suis je ne laisse jamais de commentaires tellement je suis ravie. J'adore Ibrahim, je l'écoute tous les jours et Teresa, mon amie cubaine, me ramène de la belle vieille musique cubaine à chaque fois qu'elle revisite l'île. Suis heureuse de savoir que tu aimes Lhasa, elle est unique dans le panorama québécois (enfin, ils sont tous uniques).
Ibrahim Ferrer ha fallecido apenas regresar a Cuba.... Ésa del Palau fue al parecer su última actuación.
Seguro que el hombre estará ya con su amigo Compay Segundo en el Paraíso de los Soneros: sentados los dos en un amplio jardin verde muy cerca de un mar intensamente azul, afinando la voz con vasitos de ron y cantando a dúo viejas trobas, mientras bellas muchachas mulatas les sonríen y les encieden sus "tabacos" (cigarros puros).