Barcelone, 4 heures du matin.
Mon téléphone portable faisant office également de réveil sonne et vibre tel un marteau piqueur pour me sortir de deux courtes mais profondes heures de sommeil. Je me prépare un grand mug de café, plus proche du jus de chaussette américain que de l’expresso italien. La caféine est en effet plus efficace généreusement diluée que concentrée. Je vais le boire sur ma terrasse. Il fait doux. Les camions de la BCNeta se succèdent pour nettoyer les trottoirs avec de puissants jets d’eau et les éboueurs gavent les bennes de leurs camions avec des ordures ménagères civiquement triées par nature dans des poubelles différenciées par code couleur. Opération "ville propre" quotidienne menée diligemment par des oiseaux de nuit plutôt mal payés pour une tâche ingrate mais indispensable.
Dans le taxi qui m’emmène à l’aéroport El Prat de Llobregat, j’écoute les informations en catalan. Mon oreille s’habitue progressivement à ce mélange de français et de castillan aux relents lusophones, et mes synapses m’en retransmettent désormais un peu plus fidèlement le sens.
En regardant passivement les lumières défiler, je me mets à penser à C’est beau une ville la nuit, de Richard Bohringer, une brève nostalgie de Paname à l’esprit. Barcelone aussi est très belle la nuit. Me revient également en mémoire la chanson Paris, interprétée par Marc Lavoine et l’excellente Souad Massi. La douceur de sa voix est assez semblable à celle de Norah Jones, l’émotion en plus. Je l’avais écoutée en concert chanter Raoui, un petit moment de plaisir musical comme on en vit assez rarement.
Au comptoir de KLM, on m’annonce que mon vol est surbooké, et que je vais devoir prendre le suivant. Petit scandale bref mais incisif, et me voici surclassé en classe Business.
Vol KL 1664 de 06H25 à destination d’Amsterdam. Je n’aime pas ce vol, trop matinal, qui me fait parfois débuter la semaine avec un manque de sommeil difficile à récupérer. La classe Business de KLM ne présente aucune différence avec la classe économique, si ce n’est la collation. En lieu et place du récurrent club sandwich au poulet ou au fromage, le même sur chaque vol intra-européen de la compagnie et à toute heure de la journée, proposé dans un castillan approximatif par une nymphe blonde au sourire Tonigencyl, nous avons droit à un "vrai" plateau repas, avec de "vrais" couverts. Si si, de vrais couverts, avec un couteau en inox bien tranchant et une fourchette aux branches bien fermes. Visiblement, une lame de rasoir, une pince à épiler, voire même un porte-cartes métallique sont totalement proscrits et peuvent mener à de sérieuses poursuites judiciaires pour tout quidam qui aurait l’étourderie de les prendre en cabine et non de les enregistrer en soute. Mais un couteau bien tranchant, cela ne semble présenter aucun danger, effectivement... Doit-on en conclure que la présence d’un terroriste ne puisse être l’apanage que de la classe économique et qu’en Business, il n’y ait que d’innocents et sages passagers ? J’appelle Tonigencyl et lui fait part de ma surprise à avoir un couteau entre les mains en plein vol. Elle me regarde alors avec un oeil très suspicieux, son sourire se referme, et on ne voit plus que le bout de ses canines. Le rictus en moins, elle a plutôt une tête de Rottweiler. J’ai soudainement la sensation qu’en lui posant cette question, je suis devenu à ses yeux plus dangereux que les couverts en cause. Elle va appeler Ultrabrite, le chef de cabine, qui vient me voir lui aussi avec un grand sourire malgré ses sourcils froncés. A voir sa tête, je me demande alors si un comité d’accueil ne me prépare pas déjà à Schipol un tapis rouge avec au bout une combinaison orange pour le Guatanamo local des bataves. Il m’explique en bégayant que c’est leur compagnie de Catering qui leur livre leurs plateaux avec des couverts en acier, et que pour le prochain contrat en cours de reconduction, cela devrait être modifié. Il m’explique aussi très fièrement que sur les vols intercontinentaux, notamment vers les Etats-Unis, il n’y a que des couverts en plastique compte tenu de mesures sécuritaires plus strictes outre-atlantique. Je lui fait logiquement remarquer alors que sur la base de sa réponse stupide et visiblement improvisée, et en attendant que ce supposé contrat de Catering en cause soit amendé, on peut mourir en Europe ? Pas du tout troublé, il me répond qu’il ne peut m’en dire plus et que je devrais plutôt adresser un courrier au service clientèle de Flying Blue.
J’avais constaté le mois dernier le même laxisme sécuritaire sur un vol Paris-Barcelone d'Air France où le hasard du surbooking m’avait également fait bénéficier d’un surclassement en classe Business. Pareillement, les couverts des plateaux repas étaient en inox…
Me revient alors en mémoire un autre laxisme sécuritaire qui m’avait amené à faire un scandale il y a de cela à peine plus d’un an à l’aéroport de Barcelone. Deux mois après les terribles attentats du 11 mars 2004 à Madrid, je prenais l’avion à destination de Casablanca. Le seul contrôle d’identité auquel j’eu droit à l’aéroport de Barcelone eu lieu à l’enregistrement des bagages. Aucun contrôle de police, rien, niet, pour sortir du territoire espagnol vers une destination extérieure à l’espace Schengen. Autrement dit, alors que l’enquête des services de police espagnols progressait à grands pas et révélait chaque jour de nouvelles certitudes sur l’implication de ressortissants marocains dans les attentats de Madrid, que des noms et des avis de recherche étaient diffusés dans la presse, n’importe quel marocain impliqué dans ces attentats pouvait de facto sortir de la péninsule ibérique et rentrer chez lui sans être inquiété une seule seconde. A l’entrée de l’avion, hors de moi, j’eu beau me plaindre auprès des hôtesses, la seule réponse fût : "ce n’est pas de notre ressort, cela relève des autorités locales".
Autant les mesures sécuritaires dans les aéroports américains peuvent parfois paraître excessives, autant en Europe il y a de quoi avoir de sérieuses frayeurs.
Ce nouvel épisode d’aujourd’hui avec KLM m’a fait immédiatement penser à Al-Qa'ida vaincra, le dernier pamphlet de Guillaume Dasquié. A sa lecture, j’avais trouvé son ouvrage assez alarmiste et j’avais assez vite conclu qu’il surfait comme tant d’autres sur la vague lucrative des ouvrages post 11 septembre et dont la raison d’être reste la psychose grandissante des gens face aux attentats aux quatre coins du monde.
Sa quatrième de couverture est pourtant assez éloquente:
« Une fois ce journal achevé, je ne serai plus d'aucune utilité. Je ne nourris plus le moindre espoir sur la capacité de nos sociétés à absorber cette onde de choc; encore moins sur l'efficacité de nos institutions judiciaires dans la lutte contre ce terrorisme islamiste. C'est aussi pour cela qu'ils nous vaincront, par forfait de ce redoutable ennemi que nous devrions être pour eux, incapables d'opposer nos idées aux leurs, effondrés sur nos propres genoux, affaissés avant même le début du combat. Nous sautillons et nos poings gesticulent dans le vide, pour sauver les apparences, sans nous confronter réellement, sans nous battre jusqu'à tomber d'épuisement, dégoulinants de sueur, tapissés de bleus ».
Espérons que l’avenir lui donnera tort. Et que le secteur aérien reverra assez vite ses normes sécuritaires.
Bonjour Amine,
ça me fait plaisir de te relire encore.
Alors, tu es souvent surclassé :D
Moi, jamais :/...
Concernant la sécurité dans les avions, je me rappelle être parti au Maroc deux mois après les attentats de New York. C' était le pic des mesures sécuritaires... et devine.
La Ram nous donnait de bons couteaux.
J'avais fait aussi la remarque et le steward me répondait du tac au tac :
- On fait confiance aux Marocains
:)
Ayoub
www.kingstoune.com
Amine> Moi, je trouve ca plutot triste qu'on s'inquiete meme des fourchettes qu'on utilise, maintenant, et qu'on me confisque mes trucs de manicure a l'aeroport :))
Plus serieusement, il m'est triste de dire que les terroristes "will always find a way to do what they want to do". (voir le film Terreur a Londres sur ce sujet). Oui, les USA verrouillent l'entree mais il est si facile de placer une bombe a la Penn Station a New-York ou a LA ou dans n'importe quelle ville. Et si les terroristes n'ont pas frappe de nouveau, ce n'est certainement pas par manque de ressources et d'imagination.
Ayoub> hahahahaha
Le laxisme sécuritaire en Europe est parfois étonnant. Je me souviens qu'il y a trois ans, pendant un séjour dans les Vosges , je suis passé en Suisse sans passeport (que j'avais oublié à Paris), je me suis baladé toute la journée à Lausanne puis retourné le soir en France sans aucun problème. Moralité : il suffit de s'incruster dans un mini-bus plein d'étudiants français un brin émechés pour traverser la fronière Suisse sans encombre....
Sinon, je partage un peu le fatalisme de Najlae : un fanatique trouvera toujours le moyen de contourner les contrôles.
Vous avez déjà voyagé avec Regional Airlines? Il suffit de creuser les deux millimetre de carlingue avec ses angles pour créer un appel d'air et faire s'ecraser l'avion....
At 6/14/2005 07:38:00 PM, le monde est fou
je me demande parfois si avec ces controle ils veulent nous dire qu un terroriste est un homme stipude
une charge de 100 gramme est suffisante pour faire dechirer les cotes d un avion la faisant passer directement a la poubelle
elle ne peut jamais etre detecté dans un flacon de deodorant ou telephone portable (eteint evidement)
je pense que parfois les gouvernement ont besoin de nous dire regarder messieurs on vous protege et quand un attentat survient ils se cachent deux jours pour revenir nous dires on a eu les coupables(plus de prevention) et ces coupables eu sont des vrais impliquée et une centaine de gens figurant dans une liste rouge auparavant preparé
Toujours heureux de te lire Amine,
Je crois qu’il ne faut pas vivre avec une phobie du terrorisme. A mon sens cela ne sert à rien !
A supposer que les compagnies aériennes renforcent leurs mesures de sécurité, cela ne garantira pas, pour autant, un risque zéro. Aucun pays, aucune compagnie ne peut se considérer à l'abri du terrorisme (islamiste ou autre).
Pour moi, il s’agit d’un risque comme un autre de la vie quotidienne. Il faut pas l’exagérer ni l'ignorer. Juste vivre avec.
At 6/18/2005 10:54:00 PM, Amine
Yop!
Ayoub: le plaisir est partagé car il en est de même pour moi avec ton blog. A dire vrai, je m'y connecte chaque jour pour lire les nouveaux posts & commentaires!
Mister K: tout à fait d'accord ;-)
Najlae, Lebaroude, Larbi, Samab: le risque 0 n'existe nulle part, mais il faut essayer de s'en approcher. Larbi, je suis tout à fait d'accord avec ta conclusion: il ne faut ni exagérer ni ingorer ces risques.
Mais sans pour autant développer une psychose sur le sujet, les premiers garants de notre sécurité dans les aéroports devraient essayer de mieux "ingérer" ces risques... des couteaux dans des avions, ce n'est pas très cohérent...