« Mesdames et Messieurs, bienvenue à bord de l’Eurostar 9055 à destination de Londres Waterloo. (…) Nous mettons à votre disposition un choix varié de plats et sandwiches, de boissons chaudes et fraîches, que vous trouverez en voitures-bars 9 et 16. » L'hôtesse répète alors de sa voix sensuelle mais dans la langue de Shakespeare le même message et avec la même élocution soignée. Ma voisine sexagénaire, qui émerge subitement de la lecture de son A year in the merde de Stephen Clarke, m’exhibe dans un large sourire ses bridges dentaires argentés. French accent is lovely... me dit-elle avec l’intonation d’une interrogation. Fatigué par ma semaine et n’ayant pas particulièrement envie de converser, je me limite à un petit rictus de complaisance et à un hochement de tête en signe d’approbation.
Il n’est certes pas encore l’heure de manger (m’étant d’ailleurs habitué depuis un certain temps aux horaires espagnols qui me siéent plutôt bien), mais le message de l’hôtesse bien acheminé par mes synapses de gourmand en éveil commence à exciter mes papilles gustatives. Allons donc faire ripaille ! La voie est toute tracée, il suffit de suivre à vue les symboles de verres à pied au dessus des portes coulissantes de chaque wagon. « Suffit » est un bien grand mot, car démarre alors une épreuve de slalom entre sacs, jambes et pieds de passagers débordant sur l’allée centrale, "pardon madame", "sorry mate", le tout au gré du roulis ferroviaire qui me fait vaciller de part et d’autre. Un sonore Watch Out ! m’oblige à m’engouffrer dans une rangée car un flux inverse de 4 personnes bien chargées de victuailles traverse le wagon au trot. Inspirant lentement l’air en mouvement, m’apprêtant à humer un quelconque fumet de nourriture, je me renfrogne brusquement, happé par une effluve acide et nauséabonde de sueur. On devrait voter une loi universelle imposant l’ablation des glandes sudoripares à tous les malpropres qui ne font jamais usage de déodorant ! Je reprends alors mon chemin en apnée forcée, et une fois arrivé au wagon suivant, remet ma respiration en marche pour cette fois-ci sentir une odeur moins désagréable mais toute aussi forte d’orge et de houblon fermentés. Ah ! Me voici presque arrivé à la fameuse et courue voiture-bar ! Seulement voilà, un encas à 250 kilomètres à l’heure sous La Manche, ça se mérite ! La queue est tellement longue que lorsque je me positionne, je me situe en face des toilettes. C’est décidément mon jour de chance : une femme et son garçon haut comme trois pommes en sortent. Je peux vous assurer à l’odeur que le petit rejeton vient de soulager sa diarrhée. Nouvelle apnée. Je suis à bout, me met à en rire, et prends mon mal en patience jusqu'à ce que mon tour arrive. How can I help you Sir ! me dit alors le préposé au bar . De quoi? Comment! Halte là, il y a supercherie ! Ce n’est pas du tout l’hôtesse à la voix sensuelle dont je vous parlais, mais un steward fatigué par son travail, les paupières supérieures fléchies par la fatigue, la lèvre inférieure ballante, signe extérieur d'intelligence. Je m’aventure alors à lui demander un Sandwich. Sorry sir, it’s sold out. Un club sandwich alors? My apologies sir, sold out too. But you can have some snacks, if you wish ! Je me résigne à demander un Coca Cola light. No Diet Coke sir, just normal Coke.
Demi-tour droite, nouvelle apnée sur une longueur de trois wagons, retour à ma sexagénaire, ses bridges ne se sont pas ternis et son sourire est toujours aussi métallique.
A l'arrivée, on me demande: ça a été ton voyage? Je prends quelques secondes de réflexions et répond avec un petit sourire: très nasal!
Je suis toujours étonnée de la puissance de l'odorat comme sens,
Souvent le souvenir de personnes rencontrées, décédées, de voyages ou d'expériences vécues reste imprimé dans notre mémoire sous le sceau de l'odorat
Et soudain, on croise la même effluve/odeur quelques années plus tard et tout nous submerge avec une acuité très forte.
Proust parle merveilleusement bien du lien fort entre les sens et la mémoire.
Bon Amine en l'occurence je pense que ton expérience en Eurostar ne peux être qualifiée de poétique ;)
J'ai juste un regret: que tu n'es pas papoté avec la vieille dame anglaise qui devait être ravie de voir un grand beau gosse à ses côtés!
J'ai un faible pour les vielles dames anglaises, je suis une grande fan d'Agatha Christie et j'adore le personnage désuet et tendre de Miss Marple !
Bonsoir,
Merci pour ce merveilleux texte qui me transporte à londres!!
Je n'ai pas compris pourquoi les plats et les sandwiches étaient tous achetés?? car je crois que l'équipage doit prévoir un nombre de plat+sandwiches supérieur ou égal au nombre des passagers.
maintenant, s'il s'agit d'une compagnie low cost , je peux comprendre ;) :)
Anyway, comme disent les britishs: je ne manquerai aucune occasion pour aller à cette ville dont je suis amoureuse :)que ça soit avec une low cost ou sur camel ;) :)
moi je l'ai toujours dit: il faut une cantine beghrir/sfeng à bord de dak l'eurostar.Je faisais la navette un moment dans ce train: wa ya latif 3la makla:)
Pour les vieilles dames anglaises idem: je suis une afficionado de miss Marple, d'ailleurs je regarde les emissions de jarinage sur la BBC juste pour le plaisir d'admirer leurs moumoutes bleutées:)
Estimes toi heureux ! tu as réussi à échapper aux exprériences olfatives du métro parisien qui s'apparentent plus à des émanations toxiques qu'à un oubli de déo, elles sont d'autant plus toxiques pour moi que mon apendice nasal se situe juste à la hauteur de la source d'échappement ... en raison de ma(petite) taille