Léonard Cohen, Carlos Santana et Oum Kalthoum en fond sonore, la lumière inactinique rouge allumée, un agrandisseur photographique Noir & Blanc de marque Durst trônant sur le milieu de la paillasse en carrelage blanc, 3 cuves remplies de révélateur, bain d’arrêt et fixateur, un bloc de papier Ilford, le souvenir et les sensations sont frais comme si c’était hier. Le papier préalablement imprégné de photons filtrés par le négatif d’un cliché de famille fut immergé dans le bain de révélateur, la chimie fit lentement son effet et le miracle fut. L’image apparut en douceur, par petits points épars, puis par silhouettes, jusqu’à faire jaillir très distinctement avec un grain parfait des visages bien familiers. Ainsi naquit ma passion d’adolescent. Puis le jour de mes 14 ans je reçus de mes parents le plus beau cadeau d’anniversaire de ma vie : un agrandisseur Tchèque Meopta.
S’en suivirent alors de longues années d’apprentissage des techniques de prise mais aussi de développement et de tirage photographiques. De longues heures, seul ou accompagné, à appliquer les conseils, apprendre de mes erreurs, choisir les films et les papiers, apprécier l’odeur de l’acide acétique et le goût des émulsions, trouver les bons dosages des produits, sélectionner les filtres idoines, dompter la lumière, mesurer les temps d’obturation et de projection. De longues années à cultiver mon amour pour la photographie, dans les ruelles de Casablanca, les souks de Fès et Marrakech, sur les plages de l’Atlantique, dans les regards des passants, les sourires volés, les rides des vieillards...
Très rapidement, je m’éloignai de la couleur, dont le développement en chambre noire était trop technique et le résultat dépourvu d’originalité, pour me concentrer sur le Noir & Blanc. Parce que je le trouvais plus artistique, que les portraits, genre que j’affectionnais le plus, faisaient mieux ressentir les expressions des visages, et enfin et surtout parce que les épreuves en Noir & Blanc me laissaient le loisir d’imaginer le monde autrement, sans couleur, plus pur ou avec des couleurs différentes de ce que la réalité offrait.
J’appris énormément en observant ma mère, artiste peintre, à l’œuvre : la maîtrise du clair obscur, l’observation des contrastes et des reliefs, la transparence du verre et de la soie sur ses peintures à l’huile m’amenèrent naturellement à appréhender différemment la lumière.
Plus tard, après avoir quitté Mère Patrie, alors étudiant en France, je me mis à donner des cours d’initiation tout en me perdant dans les galeries et expositions de photographie. Je sillonnais les rues de Paris armé d’un vieux Nikon F-3 et tentais de figer sur le papier tout ce qui me permettait de rêver, tout ce que je craignais d’oublier, tout ce qui me donnait envie de me souvenir. Un seul " Grand " parmi d’autres me marqua véritablement par son œuvre : Henri Cartier Bresson.
Le temps passa, se raréfia, et la technique se développa. La révolution numérique apparut et de fait envoya l’argentique à l’hospice. A mon grand malheur...
Le numérique vient remplacer l’argentique tout comme les courriers électroniques remplacèrent les lettres manuscrites, de façon immatérielle et impersonnelle. Photoshop et consœurs ont beau être formidables, jamais le numérique ne pourra reproduire les effets ni même les émotions de la photographie à l’ancienne.
Irrité par la raréfaction des produits traditionnels, leur renchérissement, la mort annoncée de la maison Ilford, je me fâchai alors avec la photographie pour de longues années.
Et curieusement, le mois dernier, à la suite d’un séjour professionnel chez l’Oncle Sam, je suis remonté vers le Nord pour contempler les couleurs sublimes de l’Eté Indien dans la Belle Province Canadienne, celle qui se souvient, et je me résolus à réveiller la passion trop longtemps laissée en hibernation.
Alors voilà, j’ai tout simplement décidé de me réconcilier avec la photographie, d’accepter le numérique non comme une fatalité mais comme une autre façon de la vivre. Je vais m’y remettre progressivement, avec mon petit Sony DSC-P200, puis dans quelques temps je verrai de plus près si Nikon a su perpétuer son excellence.
Et pour mieux illustrer ce lent retour à mes amours de jeunesse, je publierai de temps à autres quelques clichés sur ce nouveau blog : Amine’s Snapshots. Ils n’auront pas de vocation artistique. Ce sera une simple sélection de photos dont je serai tantôt l’auteur, tantôt l’admirateur.
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Photo: Lac Sacacomie, Québéc.
Prise le 07 Octobre 2005.
Coordonnées sur Google Earth: 46°30'41.35"N / 73°12'40.93W
At 10/23/2005 07:00:00 AM, Najlae
Je venais gueuler paske t'avais rien ecrit depuis ton retour :p
thanks for sharing. tres melancolique,ton histoire d'amour.
Tu dis, a propos de tes photos " Ils n’auront pas de vocation artistique". Je dis que si,tout comme tes textes.
Ce que tes mots peuvent dire,je suis certaine que tu peux le dire en photo. Yallah,estoy esperando..
C'est parfois difficile à admettre mais la photo ne fait pas que fixer la réalité, elle crée une réalité nouvelle.
J'ai longtemps partagé la même passion pour la photo. Quand je suis arrivé à Paris, j'ai vite dépensé le "matelas de sécurité" laissé par mon père pour faire face à d'eventuels coups durs en achetant un magnifique Canon EOS 50E et un jeu d'objectifs. J'ai surtout aimé capturer des instants de vie ordinaire qui sont tous devenus, par le temps qui passe, des moments extraordinaires.
J'ai taté du noir et blanc à un moment, mais un voyage en Inde m'a fait revenir à la couleur (comment photographier un tel pays en N&B).
Aujourd'hui, mon objectif 28-105 est cassé, et mon reflex est oublié dans un armoire.
Ton beau texte me donne envie de l'exhumer.
Deux choses, d’abord (au risque de me répéter) si jamais tu écris ton autobiographie, je vais lire et offrir des exemplaires à des amis. Ensuite, la photographie n’a jamais pu passer du rêve d’en faire à la réalité, à mon grand regret. Comme je reste sur mon rêve et celui-ci date quand même, je reste sur ‘La photo, c’est du N&B’, et je ne suis pas prêt d’y changer quoi que ce soit si un jour je fais le pas pour cet art extraordinaire.
Bonsoir Amine,
Heureux de te retrouver...
Retour Fracassant :)
La photo... je n'ai jamais su exprimer ce que des instants volés ont comme effet sur moi..
J'adore la photo.. je m'y suis mis il y a quelques années.. je me balade et mitraille.. tout ce qui bouge.
Encore heureux de ton retour..
Quand des photos du desert de l'Utah ?
Ayoub
At 11/02/2005 04:08:00 PM, Amine
Najlae> on va essayer!
Loula> G réellement découvert l'histoire de cette région au cours de ce voyage, et c'est passionnant! Aucun doute que la Mauricie en valait la peine, un émerveillement des sens!
Lebaroude> Exhume mon ami, exhume!
Kamal> Merci, je suis flatté...
Hache> Une expo photo, peut-être, un livre... bô... qui vivra verra... il sera prêt un jour, mais de là à être édité...
Ayoub> J'ai fait du mieux que j'ai pu, tu m'avais précisé que j'avais des devoirs à faire, alors G essayé...
Sarah> ben oui, cela fait partie du passé, des bon moments tout de même... content que tu souviennes également des "pâles asphodèles"...
Kad> ben si, ça arrive de rêver en N&Blanc...
Chattachattymouth> content de constater ton retour... dis, tu veux pas changer de pseudo?
Anouar> sans fausse modestie, "proessionnel" est un bien grand mot. Aficionao de la photo, certainement!