Un vendredi, à Casablanca. Nous prenons la route pour l’aéroport de Casablanca Mohamed V, en passant tout d’abord par le Boulevard Brahim Roudani. L’urbanisme grisâtre de cette artère semble résister au temps, malgré l’érosion lente de ses façades. Seule l’asphalte est entretenu de temps à autres. Je lève les yeux vers le ciel. Il est bas, lourd et pollué. Une météo de départ. J’essaie de contenir mon pincement au cœur à l’idée de repartir, à nouveau, pour ne revenir que plus tard, à une date encore indéfinie mais que j’espère prochaine. Nous sommes arrêtés au feu précédent la Route d’El Jadida, au croisement avec le boulevard Gandhi (écrit Ghandi par erreur sur de nombreux panneaux dudit boulevard). Le vert se fait languir, et les voitures qui nous succèdent commencent à klaxonner pour nous pousser à passer au rouge, dans une logique à laquelle je n’adhèrerai jamais. Non, nous attendrons le vert. Je lève les yeux à nouveau. Les façades des deux bâtiments sur notre droite sont étonnamment laides, impersonnelles, étouffantes. Au loin devant, l’horizon paraît moins alourdi par la chape de pollution qui couvre Casablanca. La sortie de la ville est proche.
Nous nous dirigeons vers la rocade bordant l’autoroute Casa-Rabat. Le trafic ralentit soudainement. Trop. Des badauds s’agglutinent progressivement vers le milieu de la route, les voitures roulent au pas pour bien prendre le temps de scruter la scène au centre de toutes les attentions. Un Grand Taxi blanc, vieille Mercedes dans années 1980, un de ces nombreux taxis dédiés aux trajets interurbains, est immobile au beau milieu de la route, portières ouvertes. Nous sommes arrêtés malgré nous à son niveau. Je vois alors nettement un cercle dessiné sur le milieu du pare-brise avant, un enfoncement de brisures de verre. Je tourne lentement la tête vers l’avant du véhicule. Une bicyclette est couchée à terre, la roue avant tournant encore très lentement dans le vide. Une botte de menthe fraîche est solidement fixée juste derrière la selle. J’ai soudain froid, très froid. Je pense très bêtement dans une association confuse à du thé glacé. Nous avançons d’un mètre ou deux, la voiture nous précédant ayant fait de même. Un vieil homme gît sur le sol. Un corps svelte, sec, à la peau bronzée, une légère barbe finement taillée, cendrée. Il porte un pantalon gris et une chemisette blanche immaculée. Il a un léger sourire. A peine perceptible. Ses yeux sont fermés. Mon sang se glace, le sien coule à flot dans un jet puissant fuyant par le crâne. Il pisse le sang. Par jets saccadés maintenant. Je sens le mien monter en une fraction de seconde de mes orteils à mon cuir chevelu. Dans une panique sourde, plusieurs personnes ont l’oreille collée à leur téléphone portable. Les ambulances sont prévenues, mais elles ne pourront probablement venir que pour ramasser un cadavre. Un jeune garçon se penche vers le blessé, lui caresse la tête, observe sa main ensanglantée, puis se saisit de l’index droit du vieil homme, le dresse tout doucement vers le ciel, et se met à réciter la Chahada, la profession de foi de tout musulman. Le petit rictus du vieil homme n’a pas bougé d’un iota. Peut-être est-il en train de voir la lumière blanche au bout du tunnel. Peut-être.
Au Maroc, comme dans quelques autres pays musulmans à l’exception des chiites, le deuil se porte en blanc. Comme ces Grands Taxis interurbains. Ces faucheuses. Blanches.
J'en ai vu moins aussi des scènes comme ca. Une fois, un requin blanc à fait une queue de poisson qui a envoyé une scéni dans le fossé, et puis il a continué son chemin.
Ils ne semblent obeir à aucune loi, ni limitaition de vitesse, ni ceintures de sécurité, rien ?
Pourquoi sont-ils tjs là ?
-Parce que le système des transports et défaillant
-Parce qu'il n'y a aucune volonté de remédier à ca
et parce que de toutes les façons, c'est toujours la tadouira qui fait marcher ce bled
At 9/17/2005 02:26:00 AM, Loula la nomade
Amine,
Cela m'a pris du temps avant de me décider à poster ce qui suit.
La route tue. Mon amoureux, ma copine, mon oncle.
Je n'ai vu aucune des scènes, mais je me souviens de la jeune fille sur la route Zenata Casa, le corps qui paraissait encore vivant et la tête fracassée avec le cerveau qui avait cessé d'être. Plus que les autres morts proches, cette jeune fille a hanté mes nuits.
Il y a un mois, j'ai reçu celui qui a pris le corps de mon père avant que je ne me rende à Mtl. J'étais reconnaissante et une boule de nerfs. Il a décidé d'emmener mon père au lieu de le laisser dans le couloir car le &()& de médecin du 911 avait refusé de mentionner crise cardiaque alors que mon père avait effectivement quitté ce monde d'un arrêt cardiaque (je ne me décide pas encore de poursuivre le 911 car c'était là une infraction selon la police et tout le reste qui m'a cassé les oreilles avec les procédures juridiques, mon père ne reviendra pas même si j'ai tellement envie de le prendre dans mes bras et de lui dire Je t'Adore). Why am I talking about this? Don't know juste envie comme ça. Blues, no, la vie continue comme dirait mon père. Désolée Amine de faire ma jedba chez toi
At 9/17/2005 03:38:00 AM, Jallal EL Idrissi
Eh oui, On récitera la chahada, les autres taxi-drivers ne tariront pas de reproches à leur collègue coupable. Mais le lendemain sera pour ces derniers just un other day, dans la quête de dirhams de plus, et de pauvres victimes en moins. Des dirhams de plus pour nourrir la famille, et les policier « travaillant » sur leur itinéraire.