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Wednesday, August 23, 2006
Une des choses que j'adore dans mon Maroc à moi est qu'il est un authentique observatoire social.
Je suis actuellement en train de me ressourcer à Casablanca pour ma pause estivale.
Beaucoup de choses changent. En bien.
D'autres, comme la nuit, restent immuables, seuls les acteurs se renouvellent à l'identique, s'établissant dans un endroit plutôt qu'un autre le temps d'une mode.
J'avais publié cette chronique dans
Version Homme au printemps 2003.
Je l'avais ressortie de mon disque dur pour la publier sur mon blog en janvier 2005
ici.
Je rentre tout juste d'une petite virée nocturne au G-Sound, voisin du Thaï Garden, ... et ce texte est ironiquement encore d'actualité.
Toute ressemblance avec des personnes ou lieux existants n'est qu'impure fiction :-)

Après avoir sillonné le Maroc du Nord au Sud pendant trois semaines, séduit autant par l’hospitalité légendaire de mes compatriotes que par la beauté de notre beau pays, un ami américain en voyage touristique au Maroc m’avait demandé de lui faire découvrir une facette encore inconnue pour lui : Casa by night. J’avais donc décidé de conduire Walter dans un des nombreux lieux "branchés" de la capitale de la nuit du Royaume. Récit d’une soirée ordinaire.
Trois grosses masses de graisse et de muscle, improvisées physionomistes, font barrage devant la porte en hêtre peint couleur ivoire. Le plus petit essaie en vain de se donner des airs de body-builder, mais le seul relief perceptible de son anatomie demeure une bedaine en forme de luth inversé. Ali, le plus grand des trois, cheveux plaqués en digne
garçon de café sartrien, est apparemment le caïd du trio : il sourit à pleines dents aux habitués qu’il laisse passer sous son bras par l’entrebâillement de la porte. Le reste du troupeau attend, essayant de négocier une hypothétique entrée. Dans un claquement de mâchoire, roulant les R tel un moteur diesel, Ali laisse sortir de sa voix gutturale : "Soirée privée. C’est lizabitués, citout. Réquilez, réquilez".
Les Habitués. Habitués aux privilèges, aux faveurs, à la différence sociale, à la primauté naturelle d’une minorité dominante. En face, un terrain vague fait office de parking où rivalisent de beauté : berlines allemandes, sportives italiennes et 4x4 américains et japonais rutilants. Quelques "Ali Zaoua" en haillons proposent aux passants des cigarettes de contrebande et des confiseries. Entre deux regards méprisants, ils parviennent néanmoins à capter l’attention d’un regard empathique. L’ambiance est feutrée, les lumières tamisées. Une première allée à ciel ouvert, bordée d’hibiscus, de jacarandas et de bougainvilliers, invite les "Habitués" à pénétrer dans une terrasse inondée par un mélange de senteurs enivrantes : air marin, fragrances féminines, grillades d’un barbecue improvisé, fumée de cigarettes et de hachisch, haleines fétides de malt et de houblon. L’assistance se sous-pèse dans un duel de regards et donne libre cours à ses préjugés d’une nuit ou d’une vie. Plus loin derrière, sur un parterre de zellige bordé de murs en Tadellakt et de piliers en stuc sculpté, des corps humides se déchaînent sur le rythme des électrons, se bousculent, se déhanchent dans la disgrâce sensorielle orchestrée par un maître de cérémonie qui consacre le règne des basses fréquences. Dans une obscurité traversée d’éclairs aveuglants, ils s’entassent, se prélassent, s’enlacent, se délacent, sans jamais se lasser. Le mot "boîte" porte là tout son sens : comprimer dans un petit espace le plus grand nombre d’individus, victimes consentantes d’excitations violentes et contradictoires à la recherche de l’hystérie collective. Des bribes de mots sont certes échangées ci et là, mais la parole n’a pas sa place dans cette orgie nocturne.
Nous sommes dans un des nombreux endroits huppés de la bourgeoisie casablancaise. Un endroit protégé des curieux, de la misère, des indigents, du prolétariat. Mais des prostituées sont bien là, autour de la piste de danse. Certaines se distinguent par leur vulgarité, d’autres se fondent dans le décor par un snobisme affiché. Mon ami Walter s’est momifié en pilier de comptoir et savoure un pur malt écossais. Soigneusement alignée à l’arrière du bar, la pléthore de bouteilles d’alcools en tout genre, officiellement interdits à la consommation des musulmans, évoque l’une des nombreuses singularités de ce pays : entre tradition et modernité, la tolérance. Un classique d’Oum Kalthoum, revisité par un DJ du Proche-orient à grand renfort de percussions (au grand dam des puristes), enflamme l’assistance qui se rue sur la piste de danse. Jetant un regard sur cette foule en transe nouvellement constituée, nos regards se cristallisent sur une vision déconcertante : une demoiselle, vêtue d’une petite jupe en mousseline translucide, dévoilant sans complexe un string aussi fin que sa vertu, vient de se hisser sur l’une des enceintes en bordure de piste. Un attroupement improvisé de quelques "homo marocanicus" vient encadrer alors la demoiselle, l’encourageant par des battements de mains à persévérer dans ses déhanchements endiablés.
Walter, me lance alors d’un air jovial : "Hey man, this is Woodstock in here !". La remarque me fit franchement rire, mais il me faut cependant battre ma coulpe : ce n’était pas à cette impression-là que je voulais qu’il réduise cette soirée. Mais à bien y réfléchir, n’y a-t-il pas un peu de vrai dans cette assertion? Pris d’une certaine gêne, je détourne mon regard vers ma droite. Un quinquagénaire tiré à quatre épingles, catogan poivre et sel sur veste en flanelle grise, mâchouille un gros cigare éteint en décortiquant d’un air gourmand le spectacle précédemment cité. Il m’adresse alors un grand sourire et par un geste de la main, le pouce dressé vers le haut, me signifie que la soirée est de qualité. J’acquiesce poliment par un hochement de tête, quand une bagarre éclate sur la piste. Ali, qui a soudainement relégué au placard ses faux airs de gravure de mode, accourt pour séparer fermement les deux trublions, jouant du poing pour mieux imposer son autorité. L’événement est devenu le centre de toutes les attentions. Les insultes fusent, certains s’interposent pour apaiser les belligérants éméchés, d’autres libèrent allègrement leur faconde pour commenter les faits.
Après quelques instants, le calme est revenu, l’alcool recoule à flots, et la danse, frustration verticale d’un désir horizontal, a repris son droit.
______________________
Photo Copyright Label ASH
The Pearl
September 23, 2005
1 Ocean DriveMiami Beach, Forida
25°46'05.02" N / 80°07'59.57" W
 
posted by Amine at 5:00 AM |


5 Comments:


At 8/23/2006 04:32:00 PM, Anonymous Anonymous

:-))
Bienvenu a Casa ... très réaliste ... J'adore ...
Mais le fait est que l'été c'est totalement differént... Moi qui suis une grande fetarde... je n'aime pas sortir l'été ... ya trop de monde... on ne sait plus rien apprécié... y a trop de drague ...et les filles qui veuleent tous juste passer une bonne soirée n'ont plus leur place...
Vivement Septemebre :-)))

 

At 8/24/2006 01:40:00 PM, Anonymous Anonymous

Ce qui tu décris ressemble énormément a ce qu'on retrouve de plus en plus en Tunisie.
Les tandances ont changé, les gens sont devenus plus libérés...et puis l'influence e l'argent se voit et se sent partout
Ceci étant il parrait, d'apres des amis qui sont allés dernièrement au MAroc, que les marocaines sont devenues encore plus libérées que les tunisiennes!
Quand on y ajoute la prostitution...on se demande ou est ce qu'on va?

J'ai consacré un petit texte a un detail de tote la soirée que tu viens de décrire. j'ai appelé ce phenomene "la pétasserie"
http://emmabenji.canalblog.com/archives/2006/06/21/2136843.html

 

At 8/24/2006 08:24:00 PM, Blogger chattachattymouth

"la danse: frustration verticale d'un desir horizontal". j'adore. tres beau mot que je replaserai avec ton authorisation.

j'ai toujours autant de plaisir a te lire -et a ratrapper mon retard apres une année intense-.

profite bien de la mere patrie, de la mer, pas triste et de la mere a Patrice (bien conservée pour son age!).

:-)
bises
k.

 

At 8/24/2006 10:29:00 PM, Anonymous Anonymous

Le fond de tout celà est une société encore féodale qui se donne des airs de modernité...résultat:l'ennui de "seigneurs" pour qui les déhanchements d'une "serf"(la prostituée)qui,ailleurs,n'émeuvent plus grand-monde,permettent de continuer à se mentir sur le vide de leur existence.
Heureusement qu'il existe un autre Maroc qui malgré la pauvreté de la "representativité" est dans l'action.

 

At 8/25/2006 12:15:00 PM, Anonymous Anonymous

tres bon texte assi amine:)
Pour moi ces endroit représentent le vide et le néant de l'ame : quand on en sort on a l'impression d'être sali; comme une irrépressible souillure qui te colle à la peau.Le monde des soi-disants privilégiés n'est pas toujours beau à voir...
Je n'ai jamais pu m'amuser dans une atmosphère "bon enfant" dans les boites marocaines.
Je prefère de loin me mettre un bon cd de jil jilala et rigoler avec des amis at home:)